Egalité pro, sexisme : comment intéresser les hommes ?
En entreprise, les clubs mixités, les ateliers sur le sexisme, les sensibilisations sur la promotion des carrières des femmes se multiplient. Malheureusement, le constat reste toujours le même : les hommes y participent peu. Dommage, car ils en tireraient un certain nombre de bénéfices… mais ils ne le savent pas.
Les médias nous informent tous les jours : campagne contre le sexisme, mouvement Metoo, lois sur l’égalité professionnelle… On ne peut plus dire qu’on ne savait pas. Dans les entreprises, les ateliers sur la mixité se développent et ils s’ouvrent aux hommes. Mais Marie-Christine, comme beaucoup de DRH, se désespère : « au dernier atelier, il y a un homme qui a poussé la porte. Quand il a vu qu’il était seul, il s’est excusé et est reparti aussitôt ». Et ailleurs, c’est le même constat. Quelques représentants de la gent masculine viennent, mais toujours les mêmes et ils sont minoritaires.
On entend même parfois de la part de certains hommes, des réactions d’agacement (pour ne pas dire de défense) : « on en fait trop pour les femmes », « y a pas de sexisme chez nous », « faut pas généraliser, moi je ne suis pas comme ça, je ne harcèle pas », « on va finir par avantager les femmes aux dépens des hommes ».
Pourquoi y a-t-il si peu d’hommes qui se sentent concernés ?
Les hommes ont-ils peur d’être mal à l’aise dans ces assemblées ? Considèrent-ils ces thématiques comme des affaires de femmes ?
Pourtant l’égalité professionnelle et la lutte contre le sexisme ne sont pas que des histoires de femmes. Ce sont des histoires de société, c’est l’histoire d’un système où tout le monde joue un rôle et où chacun en subit les conséquences. Comme le dit Françoise Héritier :
« Nous ne vivons pas la guerre des sexes, mais le fait que les deux sexes sont victimes d’un système de représentation vieux de bien des millénaires. Il est donc important que les deux sexes travaillent ensemble à changer ce système. L’oppression et la dévalorisation du féminin ne sont pas nécessairement un gain pour le masculin. Ainsi, lorsque les positions des sexes ne seront plus conçues en termes de supériorité et d’infériorité, l’homme gagnera des interlocuteurs : il parlera avec les femmes d’égal à égal. Alors, les hommes n’auront plus honte de leur part dite « féminine » où s’exprime, selon la norme socialement convenue, les émotions et les affects. » (1)
Les hommes trouveraient donc des avantages à ne pas rester spectateurs de ces mouvements et des initiatives en entreprise. Mais comment les convaincre ?
Voici, cinq bonnes raisons qui pourraient les inciter à s’impliquer.
Une question d’éthique
Cette raison devrait se suffire à elle-seule. Comment peut-on accepter en 2021 que des femmes soient discriminées, moins payées que des hommes, écartées du pouvoir, victimes d’agissement sexistes ? Comment peut-on rester simple spectateur face aux injustices, aux violences. Soutenir ces mouvements, ne veut pas dire que nous devons, nous les hommes, nous sentir coupables de harcèlement ou de violence. Cela veut dire qu’en tant que citoyens, nous avons le devoir de réfléchir au modèle de société qui conduit, de manière systémique, à tant de discrimination.
Si nous souhaitons pour nos filles une société égalitaire et respectueuse, alors le devoir de nous informer, de soutenir et de joindre notre voix à celle des femmes est impératif.
L’épanouissement personnel des hommes
Travailler sur le sexisme ou la discrimination, c’est travailler sur les stéréotypes et les biais cognitifs qui affectent les femmes mais aussi… les hommes. Car oui, les hommes aussi sont contraints par la société et victimes de stéréotypes. Certes, ils en retirent plus de pouvoir et de meilleurs salaires. Mais pas que…
Ainsi, comme nous le dit la philosophe Olivia Gazalé, depuis des millénaires, la culture et l’éducation ont façonné la vie des hommes en les coupant de leurs émotions (2). Un homme doit se contrôler, doit se débrouiller seul, ne doit pas se plaindre. En rivalité avec les autres, il doit faire sa place !
Et si les hommes se donnaient le droit de souffler un peu ? Ils pourraient alors entrer en relation avec leur entourage dans un mode plus émotionnel. L’intelligence émotionnelle, c’est la capacité à percevoir et à analyser ses propres émotions pour les exprimer. Mais aussi la capacité à entendre les émotions des autres pour pouvoir s’adapter. Cela offre une vie meilleure dans le respect de ses besoins et dans une relation moins heurtée, plus ajustée à son entourage. Lutter contre le sexisme, c’est lutter contre un modèle imposé qui parfois peut aller vers le virilisme ou l’homophobie.
Choisir son mode de vie
Un autre avantage, lié à la reconnaissance de ses émotions et de ses besoins, est de mieux intégrer sa vie personnelle et familiale dans son quotidien. Il existe encore des entreprises où, pour un homme, demander à partir plus tôt de son travail est mal vu, où la carrière réussie d’un homme est associée à son présentéisme. Les femmes par « obligation familiale » s’obligent à demander ces aménagements, mais beaucoup d’hommes n’osent pas. Et nous sommes en 2021 !
Heureusement les jeunes générations poussent. Plus question pour elles de sacrifier sa vie perso au dieu travail.
Lutter contre le sexisme, c’est permettre à chacun de construire une vie harmonieuse. Chaque homme pourra alors partir plus tôt pour s’occuper d’un jeune enfant ou d’un parent âgé.
Un environnement professionnel plus riche
De nombreuses études le montrent (cf enquête Gendre Scan 2016 (3)), les équipes mixtes sont plus performantes. Intégrer dans une équipe, des femmes et de la diversité en général, c’est inviter des façons de percevoir, de penser, de communiquer différentes. De cette diversité naît une stimulation et un enrichissement. Professionnellement, cela oblige à essayer de nouvelles voies, à tester ce vers quoi nous ne serions pas allés. L’équipe devient alors plus créative, plus adaptable, mais aussi plus attractive dans son recrutement. Que l’on soit homme ou femme, favoriser l’intégration de l’Autre, du différent, c’est donc se faire un cadeau à soi, en s’offrant un environnement plus stimulant et performant.
En tant qu’homme, posons-nous la question : que préférons-nous ? Une carrière protégée dans un entre soi réconfortant, à la manière de ces photos de comités de directions exclusivement masculins en costumes gris anthracites ou une aventure plus diversifiée et enrichissante ? L’anachronisme de ces photos exclusivement masculines donne déjà une réponse de la société.
Une dimension existentielle
En fin de compte, changer les codes de la société pour que des femmes puissent prendre leur place en toute sécurité, c’est aussi changer les codes pour les hommes.
C’est permettre à chacun d’être reconnu pour ce qu’il est, dans sa singularité. Ne plus craindre de se faire sanctionner pour ce que l’on est ou souhaite être. Ne plus avoir à paraître pour se faire accepter : paraître belle, douce, empathique, pour les femmes, paraître fort, compétent, en contrôle pour les hommes.
Travailler sur l’égalité, sur le sexisme, c’est réfléchir à une société qui reconnaîtrait la valeur de nos singularités. Non pas la singularité des femmes et celles des hommes, mais la singularité de chaque individu au-delà de son genre.
C’est dire ouvertement que chacun d’entre nous, avec ce qu’il ou qu’elle est, avec ce qu’il ou qu’elle choisit d’être, mérite reconnaissance et respect et doit pouvoir se développer en toute sécurité.
Cette liberté d’exister et de choisir a une double conséquence
Elle apportera du mieux vivre à chacune et chacun en offrant le choix de sortir de règles, de carcans pour rendre nos vies plus harmonieuses. Bref de choisir sa façon de vivre.
Mais aussi, elle répondra au besoin actuel de notre société et des entreprises.
Dans un monde d’incertitude, ces dernières ont tout à gagner à s’appuyer sur des femmes et des hommes épanouis. Les entreprises auront de plus en plus besoin de la richesse de la diversité pour trouver des solutions, pour s’adapter rapidement. C’est à cette condition qu’elles trouveront suffisamment d’agilité pour s’ajuster au monde à venir.
Dans cette réflexion sur l’égalité professionnelle et sur le sexisme, les hommes autant que les femmes ont à y gagner. Les gains seront autant personnels que collectifs.
Par Fabrice Agret
Sources :
(1) Françoise Héritier, Masculin/féminin – Dissoudre la hiérarchie – Odile Jacob 2002
(2) Le Mythe de la virilité : un piège pour les deux sexes – Olivia Gazalé – Robert Laffont 2017
(3) Enquête Gender Scan 2016